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Savoir pour Pouvoir Agir.
29 mai 2019

Voyage en Europe de Charlemagne à nos jours : recension par Éric Zemmour.

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Le tour de l'Europe par un grand enfant !

Sur les ruines du roman national français, un journaliste-historien de L’Obs tente de forger un roman national européen. Non sans difficultés ni contradictions.

Il y a quelques semaines, Michel Houellebecq, invité à définir sa vision de l’Europe, évoqua les voyages en train de sa jeunesse, grâce à la carte Interrail, qui lui firent découvrir que la beauté du continent résidait dans la variété de ses cultures nationales. On peut faire l’inverse et profiter des voyages à travers l’Europe pour constater l’unité profonde de ses paysages et de son histoire, les mêmes cathédrales, les mêmes châteaux, les mêmes villes du Moyen-Âge, les mêmes philosophes et scientifiques des Lumières, la même révolution industrielle, les mêmes ravages causés par les deux guerres mondiales. C’est ce qu’a fait François Reynaert. Le journaliste de L’Obs n’a plus depuis longtemps l’âge de la carte Interrail ; mais il a conservé pour ce qu’on appelle avec emphase «la construction européenne» un enthousiasme juvénile ; qui tourne parfois au puéril.

Reynaert mêle géographie et histoire, voyage et récit. On est entre le Guide du routard et le Guide vert Michelin, le style familier du premier et la culture approfondie du second. «Je n’ai pas l’intention de réécrire l’histoire. Je tente de la sortir de cette gangue nationale, forgée au XIXe siècle, qui l’emprisonne.» Reynaert vient comme les carabiniers après la bataille. La «prison» du «roman national» a été prise et détruite comme la Bastille. Lui-même a participé au travail de déconstruction et de destruction ; désormais, au milieu des ruines, il s’efforce de rebâtir un «roman national», mais européen. «On ne détruit que ce qu’on remplace», avait dit avec raison Danton. Reynaert joue donc à Michelet et Lavisse avec l’idéologie de Boucheron ; et cherche à imiter Le Tour de la France par deux enfants qui fit la joie patriotique des écoliers de la IIIe République. Il regrette que les histoires nationales ignorent le contexte européen dans lequel elles s’insèrent. C’est pourtant en étudiant François Ier qu’on apprend aussi à connaître son grand adversaire, Charles Quint, son faux ami, Henri VIII, et même son allié scandaleux, Soliman. C’est depuis qu’on a détruit à l’école le «roman national» que les enfants ne connaissent plus ni l’histoire de France ni celle de l’Europe.

Les ennuis de notre voyageur ne s’arrêtent pas là. Il ouvre son histoire de l’Europe avec Charlemagne. Il a lu le grand historien belge Henri Pirenne, qui a démontré dans son chef-d’œuvre, Charlemagne et Mahomet, que l’Europe occidentale prend conscience d’elle-même lorsque les troupes de Mahomet arrivent jusqu’aux rives de la Méditerranée. Avant, les «Européens» se croyaient toujours membres de l’Empire romain défunt. Mais Reynaert ne sait pas quoi faire de ses lectures. Car Pirenne oppose Europe et islam, barbares du Nord qui se sont christianisés et latinisés quand les conquérants musulmans «inassimilables» imposaient le Coran, Allah et la langue arabe. Horreur et damnation! Notre homme de gauche ne veut pas faire le jeu de la bête immonde. Il vaut donc mieux citer Pirenne en le vidant de sa substance.

L’unité de l’empire de Charlemagne reposait pourtant sur le christianisme. Là aussi, Reynaert est très ennuyé par ses lectures. Il ne peut ignorer que Paul Valéry a défini l’Europe comme l’héritière de la Grèce, de Rome et du christianisme. Mais les «racines chrétiennes» l’encombrent comme le sparadrap du capitaine Haddock. Il a besoin des cathédrales pour montrer l’unité du continent au Moyen Âge ; mais il ne veut pas rejeter l’islam dans le camp des ennemis. Alors, il fait son Chirac pour nous démontrer que par sa conquête espagnole l’islam fait partie de l’identité de l’Europe ; un jour prochain, il devra donc expliquer aux dirigeants algériens que le catholicisme du colonisateur français fait partie de leur identité et aux dirigeants indiens que l’anglicanisme est au cœur de l’indianité.

Alors, sans doute excédé par ses efforts inutiles, il retourne à la doxa du politiquement correct: «L’Histoire n’a pas de racines, mais est un continuum, une boule de neige qui ne cesse de grossir en s’enrobant de nouvelles couches. (…) A-t-on besoin d’ancêtres, après tout? À quoi bon? Tous les hommes sont les mêmes. Aux dernières nouvelles, ils sont quelque part en Afrique de l’Est.»

Mais si l’Europe est le temple de l’universel, pourquoi unifier les Européens? Pourquoi avoir peur de la menace chinoise ou russe? Ne sont-ils pas des hommes eux aussi? Si, comme le dit Reynaert, la seule identité de l’Europe, ce sont les Lumières et ses principes de tolérance et de raison critique, bref les fameuses «valeurs», pourquoi ne pas faire entrer dans l’Europe tous les pays qui les respectent, des États-Unis à Taïwan en passant par la Corée du Sud ou Israël? Il faut fusionner l’Union européenne et l’Eurovision.

Les ennuis de Reynaert ne sont pas encore finis. Tout à sa détestation des nations et du nationalisme, il refuse de voir dans le traité de Verdun de 843, et le fameux partage de l’empire de Charlemagne entre ses trois petits-fils, l’origine des nations française et allemande. Il n’a pas tort. Les Français ne savent pas alors qu’ils sont en train d’édifier une nation, et les Allemands refont tout de suite l’Empire romain. Comme l’a très bien vu Reynaert, les rois français, qu’ils s’appellent François Ier ou Louis XIV, ne rêvaient eux aussi que d’édifier autour d’eux le continent pour une reconstitution fantasmée d’Empire romain. Mais Reynaert a la lucidité borgne: il admire les grands unificateurs européens comme Charles Quint et n’a donc aucune tendresse pour tous les Français qui, de Jeanne d’Arc à François Ier, jusqu’à Richelieu, ont défendu farouchement le «pré carré» national.

Mais, dès que les monarques français, de Louis XIV à Napoléon, prennent la main et tentent à leur tour de rassembler l’Europe autour de la France, alors notre grand Européen a soudain des pudeurs de gazelle: «Personne n’aime les missionnaires armés», dit Reynaert, donnant raison à Robespierre. Mais cela vaut pour Napoléon, pas pour Charles Quint.

Mais la leçon ne sera pas tirée par notre grand voyageur: c’est la volonté d’unifier le continent et de reconstituer l’empire de Charlemagne, dans une sorte de séculaire question d’Occident, comme on parlait jadis de la question d’Orient, qui est la cause des guerres. De toutes les guerres, jusqu’aux ultimes conflagrations mondiales du XXe siècle. Ensemble, on est plus fort. Pour se déchirer et se massacrer.

Source : Le Figaro Vox, Histoire, 29/05/2019.

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Voyage en Europe. François Reynaert, Fayard, 305 p. 22,50 €.

 

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